Photo ci-dessus : Michael Guggenberger sur son yacht « Nuri ». Crédit photo : André Rodrigues
- 13 marins encore en course, Simon Curwen premier à l’équateur, les autres dans un pot au noir physique et mental.
- Les marins souffrent de l’isolement, de blessures, du manque d’informations, et du manque de vent.
- Les leaders atteignent les alizés et creusent l’écart avec le reste de la flotte.
- Kirsten, Tapio et Damien sont les plus rapides, mais cela suffira-t-il ?
Déjà un mois en mer, et quel mois!
Un baptême du feu dans le golfe de Gascogne, qui a mis marins et bateaux à rude épreuve, le PRB de Damien Guillou (FRA) de retour aux Sables pour réparations, Edward Walentynowicz (CAN) qui met fin à sa campagne, Guy deBoer (USA) échoué à Fuerteventura, et Mark Sinclair (AUS) qui amarre son Coconut à Lanzarote. Il ne reste aujourd’hui que treize marins à se débattre dans le Pot au Noir, à la recherche d’alizés et d’un passage rapide vers le sud.
Simon Curwen (UK) qui se sait en tête, a franchi l’équateur la nuit dernière. Il avait prévu une célébration en bonne et due forme du passage de la ligne avec Neptune.
Nous allons manger ensemble et je vais ouvrir une bouteille de champagne. Il faut fêter cela. C’est une tradition britannique. Il faut offrir quelque chose à Neptune, le dieu des mers…
Simon, qui n’a pas le bateau le plus rapide, a pris la tête au Cap Finisterre le 9 septembre et ne l’a plus lâchée. Ce solitaire expérimenté est apparu imperturbable lorsque son avance confortable à fondu à moins de 100 milles dans le pot au noir. Son expérience en double et solo à bord de son J/105 Voador pendant 15 ans, et sa pratique en solitaire en Mini 6.50 avant cela, lui ont certainement été utiles dans les dernières semaines.
Premier dans les alizés, il file désormais à 5 nœuds au travers sur une route directe vers l’île de Trindade dans son Sud, prochaine marque de passage au large du Brésil qu’il devrait atteindre dans 10 jours. Il est de bonne humeur, et apprécie le temps passé en mer.
Je suis assez content d’être seul avec moi-même. J’ai de la musique et des livres à lire… Des amis m’ont donné des cassettes et j’ai emmené des choses que j’écoutais lorsque j’avais 20 ans. C’est bien de réécouter ces musiques. Pour l’instant, cela se passe bien. Je ne m’ennuie pas du tout. Il y a toujours du bricolage à faire… Je passe deux heures par jour sur les cartes et le sextant, pour faire les calculs. Il faut aussi regarder les voiles avant d’aller vers le Sud. Et parfois, on passe un temps énorme, juste pour regarder les choses…
Toute la flotte n’a pas affronté de la même manière le manque de vent, de communications, d’informations et l’isolement prolongé. Don et l’équipe du PC Course de la GGR l’ont ressenti lors des vacations hebdomadaires. Les participants ne peuvent appeler que le PC course, pas leur famille ni leurs amis, et certains marins ont appelé pour simplement parler, partager leurs frustrations et leurs sentiments après un mois de solitude. Certains se demandent pourquoi ils sont là, d’autres même s’il est possible de continuer sans contact familial.
Les participants, qui ont subi l’attention du public et la pression médiatique dans les semaines précédant le départ, accueillent désormais les interviews médias hebdomadaires par satellite comme un changement bienvenu dans leur routine, et l’unique chance de discuter avec le monde extérieur.
Les skippers de la GGR ont un peu plus de contacts avec le monde extérieur que leurs homologues de 1968. Il s’agit en partie de sécurité, comme le tweet quotidien obligatoire à la direction de course, mais aussi de partager leur expérience en mer avec le public, comme les appels hebdomadaires nouvellement introduits où un média peut les appeler pour une interview exclusive.
Don McIntyre, fondateur et président de la Golden Globe Race
La différence avec 1968 est qu’il n’y avait pas à l’époque les communications omniprésentes et immédiates d’aujourd’hui. Les marins étaient encore plus mal lotis et ne pouvaient pas communiquer autrement qu’en lançant des lettres et des films sur les navires de passage ou en se rendant dans des endroits spécifiques comme les Canaries, Cape Town, l’Australie ou la Nouvelle-Zélande. La Golden Globe Race recrée ces points de passage pour les lettres et le contenu média.
Les communications et gratifications instantanées dont nous disposons dans le monde moderne rendent l’isolement des participants d’autant plus intense, et parfois douloureux. C’est pourquoi nous autorisons les appels volontaires au PC Course GGR.
ajoute Don.
Quand l’esprit résiste, c’est parfois le corps qui lâche. Guy Waites (UK), qui avait pourtant passé une bonne semaine de navigation, est aux prises avec des jambes et des chevilles enflées à cause de l’humidité et du manque d’exercice. Michael Guggenberger (AUT) s’occupe également de ses pieds gonflés, de ses mains et genoux, abîmés par l’humidité et le travail du bord.
Je danse beaucoup pour garder la forme et soigner mes petits problèmes de santé!
Michael Guggenberger (AT) nous a dit
Pat Lawless (IRL) pense s’être cassé une côte lorsqu’il a été projeté dans le cockpit.
J’ai eu un accident, l’écoute de grand-voile m’a attrapé à l’épaule et m’a lancé à l’intérieur du cockpit, c’était il y a quatre jours et j’ai une côte douloureuse depuis. L’épaule doit avoir un ligament déchiré, mais ça s’améliore lentement.
Pat Lawless (IE)
Quand le corps et l’esprit vont bien, c’est parfois le bateau qui pose problème, comme l’a constaté le Sud-Africain Jeremy Bagshaw.
Jeremy est rapide, heureux en mer, et ne s’est pas blessé depuis son ascension au mât aux Sables d’Olonne, mais il trouvait Oleanna anormalement lent alors que Damien le rattrapait. Lors d’une accalmie, il a décidé de plonger et inspecter son antifouling coppercoat pour découvrir avec horreur que 70% de sa coque était recouverte de pousse-pieds!
J’ai inspecté la coque en Espagne en arrivant d’Afrique du Sud, et à nouveau aux Sables d’Olonne avant le départ, et tout allait bien. Deux jours après la porte de Lanzarote, j’ai plongé à nouveau et n’ai rien vu. Hier, à peine deux semaines plus tard, j’ai été choqué de découvrir des pousses-pieds de 2 cm de long colonisant la coque! Heureusement, j’ai pu m’en débarrasser.
Jeremy Bagshaw (SA)
Cela nous rappelle évidemment le calvaire de Tapio Lehtinen (FIN) en 2018 qui avait découvert dans l’océan Indien que la coque d’Asteria était recouverte de berniques. Il n’a pas plongé en mer par peur des requins et n’a pas été autorisé à caréner dans les eaux territoriales australiennes. Il a finalement accompli son tour du monde en 322 jours, bon dernier, et y a gagné le surnom de “Captain Barnacle“.
Cette fois, Tapio n’est pas freiné par les mollusques. Non seulement il a disputé la deuxième place de Kirsten toute la semaine, mais il est également l’auteur de la deuxième meilleure performance de la course avec 174,19 miles nautiques par 24 heures ! Ce matin, alors qu’il prenait son petit-déjeuner dans le cockpit, il a vu une autre voile à quelques milles, c’était Pat Lawless. Un duel s’est évidemment engagé immédiatement, Tapio couvrant Pat toute la matinée, se blessant au coude mais s’amusant comme jamais depuis des semaines! Cela témoigne de l’intensité de la lutte aux avant-postes, y compris au milieu d’un océan désert, dans la pétole.
Jusqu’à présent, seul Jeremy a vu les berniques redoutées, mais d’autres marins pourraient en être les victimes. Les calmes du Pot au Noir sont le dernier endroit où ils peuvent plonger et inspecter leur coque avant de s’aventurer dans les alizés de l’hémisphère sud. Espérons qu’ils le fassent!
Une minorité, comme Simon, est heureuse en mer, en bonne condition physique, et navigue vite. C’est le cas cette semaine encore de Kirsten Neuschäfer (RSA), dont les tweets laconiques sont la preuve qu’elle ne souffre pas du manque de communication!
Il a été difficile de se concentrer sur la préparation d’un si grand voyage avec l’intérêt croissant du public et des médias, en plus des nombreux évènements d’avant départ. (…) J’ai vraiment apprécié ma solitude, et j’ai eu de grands moments d’adrénaline, comme barrer le bateau dans les grains sous gennaker, sur le fil du rasoir parce que je ne pouvais plus quitter la barre. Des moments vraiment exaltants.
said Kirsten
Kirsten, qui est sortie du golfe de Gascogne en 9ème position, affiche régulièrement les meilleures distances sur 24 heures de la flotte et détient le record à 174,73 nm par jour, ce qui lui permet de revenir à deuxième place ce matin.
Je ne sais pas où je suis dans la flotte et je préfère en fait ne pas savoir où sont les autres, et juste profiter de la navigation. J’aime aussi ne pas avoir le GPS et naviguer sans instruments
Kirsten Neuschäfer (SA)
Un autre marin qui ne souffre ni de l’isolement, ni physiquement, et tente de revenir aux avant-postes est le favori français Damien Guillou, qui n’a cessé de gagner des places depuis son départ des Sables d’Olonne. Avec un retard de 6 jours après avoir réparé et renforcé son régulateur d’allure, il est passé de la dernière à la 6e place, en tête du peloton en début de semaine, même si le pot au noir redistribue régulièrement le classement.
Avec du monde autour de moi, je suis dans une position de régatier. Un bateau de croisière, ce n’est pas reposant lorsqu’on le fait marcher comme un bateau de course. On est parti depuis un mois. Il en reste au moins cinq… Le vent va bientôt tourner. Même si on n’a pas la météo à bord, l’anticyclone de Sainte-Hélène peut générer des écarts monstrueux.
Damien Guillou (FR)
Beaucoup se demandent si la vitesse évidente, le talent, le travail et la détermination du finistérien, qui ont présidé à son incroyable ‘remontada’ sur le gros de la flotteseront suffisants pour rattraper les premiers.
Michel Desjoyeaux, qui a remporté sa deuxième victoire sur le Vendée Globe 2008-2009 après être retourné aux Sables d’Olonnes suite à une avarie à 200 milles des côtes, et être reparti avec 40 heures de retard, nous a donné un indice sur twitter il y a quelques jours:
Il est en train de faire une ‘Desjoyeaux’, en mieux! Si je peux me permettre!
Michel Desjoyeaux
Oui Professeur, vous pouvez vous le permettre!